
Association Z’y va : construire des espaces communs

Z’y va est fidèle à sa vocation : association d’éducation populaire en pied de cité (quartier du Petit-Nanterre) et espace d’écoute, de dialogue, de débat sur la société, avec la société. Après les attentats, au moment où les jeunes sont choqués, où une partie de ceux des quartiers se sentent montrés du doigt, ce genre de lieu, trop rare, est indispensable. Rencontre avec deux de ses responsables.
P&C : Vous avez mené des débats autour des attentats, depuis ceux de 2015. Ces débats sont-ils simples ?
Mamadou Diallo, directeur : Après les attentats contre Charlie Hebdo, dès le 4 février 2015, on a organisé des débats avec les jeunes, un club de prévention, une association de théâtre, ou encore avec un pédopsychiatre, un sociologue… Ca a créé de la polémique, parce que les jeunes ont posé beaucoup de questions. Ils se plaignaient qu’on n’entende qu’un seul point de vue dans les médias. Nous, on est là pour prendre en charge la parole des jeunes, sans jugement sur « on est Charlie ou pas ».
Fatima Ziane (présidente) : Les plus âgés n’ont pas compris le malaise des plus jeunes. Ca renvoie chacun à des choses très personnelles, à une manière de voir la France. Quand on est plus jeune, ces questions sont encore plus amplifiées. Notre principe, même si ça doit déranger, c’est que les jeunes puissent tout exprimer, parce qu’à l’école ou à la maison, tous peuvent être incompris. Il ne faut surtout pas les laisser discuter qu’entre eux, parce qu’alors, il y a des fantasmes qui s’expriment. Si on sent que ce qu’ils disent va à l’encontre des principes universels, on essaie de recadrer. Jusqu’où peut aller la liberté d’expression, c’est difficile à dire… Même chez nous, est-ce clair, les questions de laïcité et tout ça ? Nos opinions évoluent avec les échanges.
Mamadou Diallo : Il faut critiquer les arguments des jeunes, pas les jeunes eux-mêmes.
P&C : Comment avez-vous mené ces débats ? Sur quelles bases ?
Mamadou Diallo : On a demandé aux jeunes de témoigner d’une expérience personnelle. Par exemple, une jeune fille voilée qui fait Hec s’était retrouvée en porte-à-faux dans son école au lendemain des attentats. Elle a apprécié de voir des gens différents pour en parler. On a demandé que ces expériences s’expriment à travers des textes. On en a eu trois. Un jeune a élaboré un texte alors qu’il avait été exclu de l’école après les attentats, il est venu en discuter.
P&C : Quelle a été la teneur de ces témoignages ?
Mamadou Diallo : Globalement, ils disaient que leur parole n’était pas bien prise en compte. Qu’on leur tombait dessus, qu’il n’y avait qu’une seule parole possible, celle de l’adulte. Avec le risque qu’ils se replient sur eux-mêmes. Les jeunes ont apprécié ces échanges. La qualité des invités était une reconnaissance de leur parole. On a créé un espace bienveillant. On sait que tout le monde n’est pas éducateur…
Fatima Ziane : La société est-elle prête à ce dialogue ? A-t-elle donné un espace de parole où les jeunes étaient entendus sans être jugés ? Les sanctions sont-elles accompagnées ? Qu’est-ce qu’on fait pour que ça ne se reproduise pas ? Comment aider à élaborer une perception humaniste autonome ? Comment construire une laïcité qui n’exclut pas ? La définition de la laïcité est très approximative. Quand elle est synonyme d’athéisme, ça ne va pas. Le sentiment domine que la laïcité a été faite contre l’islam, que c’est une loi faite pour protéger les institutions, et non comme une garantie de la neutralité de l’Etat. D’autant qu’on juge souvent les parents, en disant « ça, c’est des choses qu’ils ont entendues dans leur famille ». Je suis enseignante, et on m’a clairement dit à l’école qu’on ne voulait pas des parents sur ces questions, surtout si les parents sont voilées !
P&C : Comment vous vous positionnez face aux témoignages des jeunes ?
Mamadou Diallo : Notre rôle est particulier : on va dans le sens des jeunes, on les accompagne, on les protège, on les défend. Les institutions ont de quoi se défendre.
Fatima Ziane : On doit les écouter, mais parfois les habitants peuvent avoir tort ! Il y a beaucoup de fantasmes sur ces questions, sur la « théorie du genre », sur ce que l’école dit ou fait ; le jour où il y a eu le mouvement de retrait des élèves de l’école, il n’y avait que 25% de présents ! Il faut s’ouvrir aux parents pour construire un discours commun… Z’y va permet cette rencontre, on remet les gens sur les rails.
Mamadou Diallo : Quand les parents disent « l’école est raciste », on met le holà ! Mais il faut reconnaître que la qualité des apprentissages n’est pas partout la même. Nous, on doit apprendre les bases qui sont apprises à la maison dans les milieux favorisés.
P&C : Que faudrait-il faire pour apaiser les esprits ?
Mamadou Diallo : Il y a plein de malentendus, il faut remettre les gens ensemble pour qu’ils dialoguent. Il manque des espaces de dialogue. On a refait l’historique de la laïcité, mais il y a l’Histoire et puis il y a la réalité d’aujourd’hui, qui parfois n’est pas dans les textes, voire les réinvente.
Fatima Ziane : Pour que la laïcité soit plus forte, il faudrait aussi résoudre les problèmes de mixité sociale, de chômage. La question ne se posait pas pendant les « Trente glorieuses » !