
Agir dans les quartiers : de l’éducation populaire au « community organizing »

L’Association de la Fondation étudiante pour la Ville (AFEV) interroge son implication dans les quartiers autour de l’engagement. « Du vivre ensemble au faire ensemble » était le mot d’ordre de son Université, avec l’émergence du concept de Community Organizing.
Le jeu de rôle comme outil politique
Dans le hall de l’Hôtel de Région de Lyon, où se tient ces 29 et 30 août l’Université de l’engagement, l’ambiance est studieuse mais bon enfant. L’atelier « La confrontation comme condition pour dépasser l’expression ? » proposé par Adrien Roux, débute avec deux jeunes femmes qui se présentent devant l’assemblée comme Présidente de la région Rhône-Alpes et directrice du lycée Fourneyron. Ce sont des animatrices de l’AFEV en plein jeu de rôle ! La situation de départ simule une confrontation entre parents d’élèves mécontents de la vétusté du lycée de leurs enfants et les représentants de l’état qui refusent d’octroyer des aides. Le maître de jeu donne les instructions : la moitié de la salle interprète les parents, l’autre moitié les étudiants AFEV. L’enjeu pour ces derniers est d’aller convaincre les parents de se réunir pour agir face au refus de la région. « En deux heures il faut simuler l’équivalent de plusieurs semaines ! » Les joueurs aboutissent à une décision commune : aller manifester durant une réunion dans l’hôtel de région avec des affiches présentant des photos choc de la vétusté des bâtiments. Le slogan : « Le lycée n’est pas un chantier ! ».
De l’expression à la confrontation
Pour animer ses formations, Adrien Roux part d’exemples concrets : « Avant de créer ECHO avec d’autres personnes à Grenoble il y a deux ans, je travaillais dans une association de démocratie participative. J’étais déçu et frustré car dans les conseils de quartier le pouvoir restait dans les mains des élus tandis les participants jouaient le rôle de boite à idées. Un jour j’animais une réunion où des mères réclamaient une crèche. Les élus répondaient ʺc’est intéressant mais les contraintes budgétaires ne permettent pas d’investir.ʺ Dans la journée j’apprends qu’une entreprise pharmaceutique avait obtenu plusieurs subventions indirectes pour la construction de bâtiments. Pourquoi eux ? Parce qu’ils ont un moyen de pression. Dans la défense d’intérêts, l’expression citoyenne c’est bien mais si on veut faire bouger les choses, il faut aussi de la pression citoyenne ! On ne savait pas trop comment faire mais dans le livre de Saul Alinsky il y avait des pistes… » Saul Alinsky, sociologue américain, proche du syndicalisme et créateur du community organizing a travaillé dans les quartiers pauvres de Chicago. Son livre « Manuel de l'animateur social » traduit en France en 1971 est une référence auprès de rares chercheurs et travailleurs sociaux.
Community organizing ou organisations de communautés ?
Pourtant aucune expérience réellement fondée sur cette méthode n’avait été réalisée en France avant le projet ECHO. « On me disait que ces méthodes n’étaient pas praticables ici. Les Etats-Unis est le premier pays construit sur l’immigration avec des communautés très importantes qui ont été rapidement reconnues. En France, les communautés sont moins solidement organisées. Les organisateurs vont dans les quartiers pour rencontrer et identifier les leaders. Le temps de la rencontre est très important, on peut parler une heure dans un café, expliquer nos motivations, les raisons de notre engagement. Un jour j’ai attendu devant une mosquée au téléphone avec quelqu’un qui était à l’intérieur et ne voulait pas m’ouvrir. Il m’a ouvert la porte pour que je rentre au chaud, et m’a dit « Les seuls non musulmans qui tapent à la porte c’est soit les journalistes, soit les RG, soit les sociologues et dans tous les cas ils ne nous veulent pas de bien. »
Travailleur de « tisseurs de colère »
Bien que s’appuyant sur les méthodes d’éducation populaire, le community organizing se décline différemment. « Nous sommes un contre-pouvoir et en ce sens davantage proches des syndicats. C’est pourquoi nous refusons les financements publics. » Le but est de mettre en lien des communautés, quelles qu’elles soient sur des problèmes communs afin qu’elles luttent ensemble. « A la mosquée je vais voir Fatima qui vit seule avec son enfant et qui est très en colère à cause de son travail. A la soirée des Antillais je discute avec Yvette qui travaille aussi à l’Hôtel des impôts et n’est pas contente car en 3 heures elles ne peuvent pas faire le travail qu’on leur demande. Elles disent la même chose, il faut qu’elles se rencontrent. On réunit les 9 femmes qui travaillent à l’hôtel des impôts. Et là, 110 personnes débarquent pour aider ces femmes à faire le ménage. Le chef d’entreprise est maintenant obligé de négocier alors qu’il a refusé durant des mois… On fait le travail de tisseurs de colère. » Adrien avoue une prime appréhension de la part des syndicats qui très vite deviennent leurs alliés. « Pour eux, c’est plus difficile d’agir du fait des changements dans le travail avec la sous-traitance, la délocalisation etc. Nous on va dans les communautés religieuses, les syndicats de copropriétaires, les associations de parents d’élèves… On parle de citoyenneté tout terrain. »
Community organizing et éducation populaire
Pour Cécile Casey, déléguée régionale de l’AFEV Rhône-Alpes, le community organizing repose sur l’idée de l’augmentation du pouvoir (empowerment) chez un individu : « Ce n’est pas une question d’intelligence mais de moyens pour acquérir du pouvoir sur une scène publique où les rapports sont ceux de la domination. » Le colloque de Vaulx-en-Velin en mars dernier a permis de repenser les actions de l’AFEV. « On essaie de diversifier notre champ d’action à travers du lobbying et des campagnes. Notre projet est de lutter contre les inégalités sociales en faisant se rencontrer deux jeunesses : les étudiants et celle des quartiers populaires. Même si on prépare les étudiants accompagnateurs à travers diverses formations, ils ne sont pas des professionnels mais des relais. Il n’y a pas de rapport de domination entre eux. L’étudiant accompagnateur et le jeune identifié par les professionnels sociaux évoluent dans une relation de partage autant culturel qu’affectif. » Juliette Bazenet, étudiante volontaire à Grenoble a décidé d’accompagner une fillette de 4 ans vers la lecture : « Ses parents étaient arabes et sa mère culpabilisait par rapport aux lacunes de sa fille car elle-même parlait mal le français. J’ai fait un travail autant auprès de la mère que de sa fille dont je valorisais le bilinguisme. A chaque fin de rencontre, j’allais voir les parents pour leur expliquer ce que l’on avait fait. Aujourd’hui j’ai décidé d’arrêter mes études en communication pour étudier le droit… » Juliette avoue que ce changement est lié à son expérience d’accompagnatrice. « Même si en France la situation dans les quartiers n’a pas évoluée, après 20 ans d’existence, on commence à voir arriver de jeunes étudiants qui ont eux-mêmes été suivis », constate Cécile Casey.