Afriscope promeut le droit de vote aux étrangers : toujours une utopie ?

Le 30-10-2012
Par Erwan Ruty

Le 18 octobre, le journal Afriscope organisait à Paris, dans un vingtième arrondissement qui compte plusieurs foyers de travailleurs africains, une rencontre sur le droit de vote des résidents étrangers. Morceaux choisis d’un débat qui est un serpent de mer pour la gauche.

« Il y a un retournement d’ambiance ! » Cet euphémisme, du à Razzie Hammadi, nouveau député PS passé en coup de vent, donne le ton au lancement de la rencontre.

Si vous faîtes un sondage le lendemain d’une manif salafiste… l’opinion se retourne !

Grande volatilité de l’opinion

Razzie Hammadi enchaîne : « Si on n’est pas dans le premier semestre 2013, ce vote ne pourra être effectif pour les prochaines municipales [en 2014, NDLR]. 75 députés ont appelé pour. Il y a deux voies : referendum ou trois cinquièmes des députés votent pour au Congrès [Assemblée nationale + Sénat se réunissent en Congrès pour modifier la Constitution, NDLR]. Aujourd’hui, il manque encore une trentaine de voix pour réunir cette majorité. La société civile doit donc se mobiliser. » Au vu de l’assistance clairsemée, on peut douter de cette mobilisation. Et le jeune élu de la gauche du PS d’insister : « Il faut mener la campagne d’opinion. Il y a une très grande volatilité de l’opinion sur cette question. En un an, on a connu des écarts de 20 points ! Si vous faîtes un sondage le lendemain d’une manif salafiste… l’opinion se retourne ! » Et de reconnaître, répondant à une question : « C’est vrai que pour l’instant, ça ne semble pas être une priorité pour Manuel Valls, quand il y a plus de 10% de chômeurs… »

en 2011, il y avait un assentiment, à 63% des sondés

Mauvaise passe

Ce dernier, au moment du dépôt de la pétition des 75 députés PS favorables à l’inscription rapide de cette promesse électorale de François Hollande, début septembre, s’était en effet exclamé : « Est-ce que c’est aujourd’hui une revendication forte dans la société française ? Un élément puissant d’intégration ? Non. Ça n’a pas la même portée qu’il y a trente ans. Aujourd’hui, le défi de la société française est celui de l’intégration».

Vincent Rebérioux, de la Ligue des droits de l’homme et porte-parole du collectif Votation citoyenne, reconnaît : « C’est vrai que dans le débat hystérique contre l’islam qu’il y a actuellement, il y a plus de difficultés. Alors qu’en 2011, il y avait un assentiment, à 63% des sondés… »

Le vote, c’est une conquête vers l’universalisation des droits.

Oxygéner la démocratie

Mais ceux qui se bagarrent pour cette revendication depuis trente ans, à gauche en particulier, ne désarment pas : « On a besoin de ré-oxygéner la démocratie dans ce pays. Le vote, c’est une conquête vers l’universalisation des droits. On a oxygéné en accordant d’abord le droit de vote aux domestiques, puis aux femmes, puis aux plus de 18 ans, puis aux ressortissants de l’Union européenne… Dans les banlieues, de qui les maires sont-ils les représentants ? Entre les étrangers et les abstentionnistes, qui vote pour le maire de Saint-Denis ? » plaide Vincent Rebérioux. Et la réalité lui donne raison : sur 105 000 habitants recensés en 2009, seuls un peu plus de 7000 ont voté pour l’actuel maire, Didier Paillard… Et Catherine Wihtol de Wenden, chercheur en Sciences Politiques spécialiste de l’immigration, d’expliquer alors : « Le lien jugé indissoluble entre nation et citoyenneté est né avec la Troisième République. La définition révolutionnaire de la citoyenneté est celle d’une adhésion aux valeurs. »

Cette question du vote replonge la France face à ses contradictions : les discriminations existaient, mais dans les colonies.

Les résidents des foyers n’attendant plus rien

Il y a donc besoin de sortir de cette impasse. Et peut-être de regarder cette question du vote sous un autre angle, comme le fait Roger Yoba, citoyen camerounais du collectif pour la Votation citoyenne lui aussi en prenant un peu de recul : « Dans les foyers, dans les marchés, il y a des gens qui nous rappellent que les ressortissants des anciennes colonies du Commonwealth ont le droit de vote en Grande-Bretagne ! Beaucoup étaient français quand ils sont arrivés en France, certains ont perdu la nationalité en cours de route avec la décolonisation. Dans les foyers, les résidents n’attendant plus rien. Ils ont le sentiment d’avoir été trahis. Ils disent : « Le Bulgare, il est là depuis 3 mois et il a le droit de vote ; et moi je connais tout le quartier, depuis les années soixante, je refais les routes, et rien »… Cette question du vote replonge la France face à ses contradictions : les discriminations existaient, mais dans les colonies. Avec l’immigration, elle redécouvre cette réalité, sur son sol. Si les syro-libanais contrôlent le commerce en Afrique, c’est parce qu’ils avaient, à l’époque, la nationalité française ! » Et Vincent Rebérioux d’insister : « Les habitants de Rufisque, Dakar, Thiès, Saint-Louis étaient tous Français ! »

C’est une véritable humiliation de demander la nationalité, notamment à la préfecture de Bobigny.

« J’ai renoncé à demander la nationalité française »

Et Rost, le rappeur citoyen, présent de surenchérir : « Ces trahisons, depuis les marches [Marches pour l’Egalité, Convergence 84 etc, dans les années 80, NDLR], pèsent sur le vote à gauche de ces français. Mes parents sont ici depuis des dizaines d’années, je suis arrivé à dix ans, je suis beaucoup plus engagé que bien des français de souche ; mais je ne voulais pas demander la nationalité tant que la France n’aurait pas instauré le droit de vote. Et puis mes enfants sont nés. J’ai décidé d’y aller. Mais c’est une véritable humiliation de demander la nationalité, notamment à la préfecture de Bobigny. J’y ai renoncé, au bout de quatre tentatives… » Et de remarquer : « La France qui se lève tôt, c’est pas celle des bureaux : c’est les immigrés, il faut se lever à cinq heures du matin pour le voir ! »

Le vote est plus souvent un vote de classe.

L’épouvantail du vote communautaire

Quant au risque de vote communautaire brandi par les opposants à ce vote, il est balayé du revers de la main par les présents, comme ce responsable de l’association Banlieue +, nos quartiers : « Si le droit au mariage pour tous est accepté, on ne peut opposer à ceux qui veulent le droit de vote aux résidents la question du communautarisme. » D’autant plus que, comme le relève Catherine Wihtol de Wenden : « là où il est appliqué, le vote est plus souvent un vote de classe, selon que l’on est chef d’entreprise ou ouvrier, par exemple. Le communautarisme s’exprime ailleurs. »

Erwan Ruty

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