
AC Lefeu à Lyon : labourer les terres déçues par la politique

Le collectif AC lefeu poursuit depuis samedi 16 mars (et jusqu’au mardi 27 mars), un tour de France pour faire signer une pétition de 23 propositions qui sera proposée aux candidats à la présidentielle. Après une étape à Besançon dimanche, ce « tour de France » était à Lyon hier. Et nous aussi !
Le soleil joue à cache-cache sur la Place Pradel au centre de Lyon, comme les rares passants qui daignent s’arrêter sous le barnum installé face à la mairie en ce début de matinée. Un air du groupe Zebda pour se motiver, des bâches « Ministère de la crise des banlieues » et « Ac lefeu » pour « marquer » le territoire, et l’équipe se met au boulot : faire signer la pétition par un maximum de personnes. Malgré la pluie annoncée et le vent frisquet, rien n’entame la bonne humeur contagieuse des six bénévoles venus de Clichy-sous-Bois. T-shirt noir barré de l’inscription en jaune Ac le feu, ils vont au « charbon », interpellant sans relâche le quidam. Leur pugnacité paie une fois sur trois. Pas facile d’arrêter les lyonnais de cette artère passante en ce lundi matin, tous marmonnent une excuse : « Je suis en retard au travail, je vais en cours. Je suis juste sorti acheter un sandwich… »
Sous le barnum, le président du collectif Mohamed Mechmache a plus de succès ; l’expérience et la médiatisation paient : nombreux sont celles et ceux qui le reconnaissent, surtout après son passage la veille sur Canal Plus dans l’émission politique en clair, Dimanche Plus. « C’est vrai qu’on a gagné un peu de temps, les gens sont plus réceptifs », reconnait-il.
« La gauche devrait davantage en parler ! »
« Vous êtes passé à la télévision hier », s’exclame un homme d’âge mûr qui avoue avoir été attiré au loin par les slogans écrits en lettres majuscules sur les deux bâches balancées par le vent : « J’adhère complètement à votre discours. Je pense qu’il faut davantage donner la parole aux habitants et les remettre au cœur du débat. Les politiques parlent toujours à leur place. Moi j’ai envie d’entendre ce que les habitants de ces quartiers ont à dire. »
Quelques minutes plus tard, c’est au tour d’Heidi de signer la pétition. A 24 ans, cette future attachée territoriale n’est pas venue par hasard : « J’ai entendu parler de Ac Lefeu. Je m’intéresse à la politique de la ville de par mes études et mon parcours perso. » La jeune femme a en effet grandi à Grenoble dans le quartier de la Villeneuve[qui a été secoué en juillet 2010 par de violentes émeutes, ndlr], et a entamé ensuite des études à Sciences-Po. « C’est un sujet qui m’interpelle plus encore en période électorale. La gauche devrait davantage en parler. L’égalité, la justice, la cohésion sociale sont des sujets de gauche. Il y a un problème de représentation de ces quartiers et de leurs habitants. On en parle essentiellement quand il y a un problème. Il faut donner une représentation réelle. »
Objectif : 1200 signatures par jour
Un interlude pluvieux permet à quelques membres de l’équipe de rapatrier au sec quelques passants. Mais c’est du donnant-donnant ! Ils écoutent poliment l’argumentaire désormais rodé et paraphent bien volontiers la pétition. « Certains signent directement la pétition », plaisante un badaud. « On a clairement un objectif de recueillir un maximum de signatures. Il faut que cela ait du poids. On est entre 1000 /1200 signatures par jour », explique Mohamed Mechmache.
Il est temps pour lui d’ailleurs de se rendre à Vaulx-en-Vélin, au Mas du taureau, pour une rencontre avec les habitants organisée par une association locale, Valeurs des quartiers. Car c’est bien cela la force d’Ac lefeu : s’appuyer sur un tissu associatif. « Nous en sommes à notre quatrième tour de France. On a rencontré de nombreuses associations, crée des liens. C’est normal qu’on les sollicite. Cela légitime notre action ». Le lieu n’est pas choisi au hasard.
Depuis 22 ans, qu’est-ce qu’on a fait ?
« Il y a 22 ans, la ville a été secouée par une explosion sociale qui s’est reproduite 15 ans plus tard à Clichy-sous-Bois. Entre-temps qu’est ce qu’on a fait ? », s’interroge Abdel, membre-fondateur de Valeurs de quartiers. « La banlieue et ses habitants ne sont toujours pas écoutés et encore moins entendus. Pourtant, il y a de réels problèmes d'emploi, de logement, d'école qui perdurent ».
Une petite dizaine d’habitants palabre au milieu de la place du marché, autour de la journaliste du Progrès, figure de proue de la presse locale. « On a voulu faire ça à ciel ouvert pour que tout le monde puisse se joindre à nous », explique Morad Aggun, le président de Valeurs des quartiers. Parmi la petite assistance, ils sont nombreux à pointer une désaffection des pouvoirs publics. Une discussion courtoise écourtée par une injonction de Taoufik, 27 ans. « Il faut voter Le Pen ». Son intervention jette un froid. Morad Aggun, par ailleurs conseiller municipal (DvG), minimise : « Arrête de faire de la provocation ». Mais Taoufik persiste et signe : « Je vote pour les gens francs. Elle au moins, elle annonce la couleur. Vous, à longueur d’année, vous nous dîtes, oui, on vous a compris. Vous nous faites des promesses qui ne sont jamais tenues… »
Déçus des partis traditionnels
La diatribe fait hocher quelques têtes. Pour Mohamed, 35ans, le jeune homme n’est pas dans le faux : « Mon oncle Djamel a fait la Marche des beurs. Il a encore mal quand il s’assoit…Vous comprenez l’image ? La gauche et en particulier le PS a fait trop de dégâts. »
Un discours que Mohamed Mechmache avoue entendre ici et là. « Ce sont des déçus des partis politiques traditionnels. C’est pour ça que c’est important d’aller à leur rencontre. Notre but, est de faire entendre leurs voix dans le débat électoral », conclue-t-il avant de repartir dans le centre de Lyon pour retrouver le reste de son « équipe ».
A l'issue de ce "tour de France", un débat national sur les quartiers populaires devrait se tenir le 14 avril, avec des acteurs associatifs et des personnalités publiques et politiques, pour interpeller les candidats à la présidentielle sur ces propositions.
Nadia Hathroubi-Safsaf